mercredi 19 juillet 2017

La hiérarchie des normes en droit du travail, le principe de faveur, kesako ?

Hiérarchie des normes en vigueur avant la publication de l'ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective

En pleine période de réforme, et un an après la loi dite "Travail", la question de la hiérarchie des normes et de son renversement reviennent dans le débat public. Afin de comprendre ce qui est en jeux, il convient d'expliquer ce qu'est la hiérarchie des normes en droit du travail.  

L'articulation des normes en droit du travail


La hiérarchie des normes est composée de différents textes de forces normatives différentes. Chaque norme juridique doit se conformer aux règles de valeur supérieure dans la hiérarchie des normes, ou du moins être compatible avec ces normes.

Par exemple, les lois doivent être conformes aux normes de valeur constitutionnelle, notamment la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Aussi, une loi ne pourrait prévoir des dispositions contraires au principe selon lequel les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits sauf à ce que les distinctions sociales qui résulteraient d'une telle loi soient fondées sur l'utilité commune.


Cette hiérarchie est souvent représentée sous forme de pyramide. Le but étant de ne pas vous endormir, j'ai choisi de prendre la tour Eiffel comme schéma. :-)


hiérarchie des normes - droit du travail
Pour en savoir plus sur la hiérarchie des normes, n'hésitez pas à consulter le site internet de service public legifrance en cliquant ici.

Les conventions et accords collectifs

Parmi toutes ces normes figurent les conventions et accords collectifs. Ce sont les textes signés entre les organisations syndicales représentant les salariés et celles représentant les employeurs. Au niveau des entreprises et des établissements, les employeurs négocient sans l'intermédiaire de leurs syndicats.

Pour être moins abstraite, les cinq syndicats salariés les plus représentatifs au niveau national en 2017 sont la CFDT, la CGT, FO (FO-CGT), la CGC (CFE-CGC), et la CFTC. Mais vous avez pu entendre également parlé de l'UNSA, ou encore de Solidaire.

Du côté employeur, au niveau national vous pourriez connaitre le Medef, la CGPME ou encore l'UPA.

Au passage vous apprenez que si sur la scène médiatique, salariés et employeurs ne semblent jamais d'accord, dans les faits, ils concluent des accords très régulièrement... ;-)

Il existe toutes sortes d'accords. Et là encore, il existe une hiérarchie puisque tous les accords ne concernent pas l'ensemble des salariés du territoire français. Ils ont tous un champ géographique et professionnel qui leur est propre. Du champ d'application le plus large au plus restreint vous trouverez :
- les accords nationaux interprofessionnels ;
- les conventions et accords nationaux de branche (comprendre branche d'activité comme les hôtels cafés, restaurant, ou encore, le commerce de l'habillement, l'industrie chimique, etc ...)
- les conventions et accords territoriaux de branche ;
- les accords territoriaux interprofessionnels ;
- les conventions et accords d'entreprise ou de groupe ;
- les conventions et accords d'établissement.

Il existe également des conventions et accords catégoriels. Il s'agit d'accords dont le champ d'application est restreint à certaines catégories de salariés (Exemple : les ingénieurs et cadre).

Tous ces textes doivent être en conformité avec la constitution, les normes internationales, ainsi que les dispositions légales et réglementaires (article L. 2251-1 du Code du travail). Mais comment s'articulent-ils entre eux ?

L'articulation entre les conventions et accords collectifs


Une problématique peut résulter de la multiplicité des niveaux de négociation des conventions et accords collectifs. Il peut y avoir plusieurs accords portant sur le même objet et applicables à la même entreprise mais prévoyant des dispositions différentes.

Exemple :
- la convention nationale de branche prévoit que le salarié a droit à une prime de vacance de 200 € chaque année ;
- un accord d'entreprise prévoit que le salarié a droit à une prime de vacance de 150 € chaque année.

Trois possibilités :
- ces deux dispositions se cumulent et le salarié a droit à deux primes de vacance d'un montant total de 350 € ;
- on applique la disposition la plus favorable et le salarié bénéficie d'une prime de vacance de 200 € (c'est l'application du principe de faveur) ;
- on applique la disposition la moins favorable ou négociée au plus près de l'entreprise, et le salarié bénéficie d'une prime de vacance de 150 €.

Quelle solution doit-on retenir ?

Deux normes qui portent sur le même objet et ayant la même cause ne se cumulent pas (Cass.Ass. plén. 18 mars 1988 n°84-40.083). Le salarié ne touchera donc pas 350 €.

Si historiquement, la norme la plus favorable devait être retenue, tel n'est plus le cas depuis 2004 (articles 41 et suivants, loi du 4 mai 2004 n°2004-391 relative à laformation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social). C'est la convention ou l'accord le qui couvre le champ territorial ou professionnel le moins large qui s'applique au salarié (articles L. 2252-1 et ancien article L. 2253-1 et suivants du Code du travail).

Dans l'exemple, le salarié touchera donc 150 €.

Ainsi, le principe de faveur n'apparaît plus en tant que règle générale dans le Code du travail. Ces dispositions comportent néanmoins plusieurs exceptions.

Exception n°1 - les domaines réservés

La loi a défini 6 thèmes pour lesquels une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ne peut déroger aux dispositions d'une convention ou d'un accord de branche :
salaires minimums, classifications, garanties collectives complémentaires (comprenez les obligations en matière de prévoyance et de couverture de frais de santé), prévention de la pénibilité, égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et mutualisation des fonds de la formation professionnelle (ancien article L.2253-3 du Code du travail).

Exception n°2 - les dispositions impératives

Une convention ou un accord peut identifier certaines de ses dispositions comme étant impératives. Une convention ou un accord de niveau inférieur ne pourra prévoir des mesures moins favorables que ces dispositions impératives.

Dans l'exemple, si la prime de vacance a été identifiée comme étant une disposition impérative de l'accord de branche, le salarié touchera malgré les dispositions de l'accord d'entreprise, une prime de vacance de 200 €.

Exception n°3 - les dispositions transitoires

Le principe de faveur reste applicable lorsque la convention ou l'accord a été conclu avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 mai 2004, soit avant le 5 mai 2004.

De très nombreuses conventions et accords antérieurs au 4 mai 2004 sont encore en vigueur aujourd'hui. Ils sont révisés, dénoncés et/ou remplacés progressivement, ce qui atténue l'impact de la disparition du principe de faveur comme principe général.

Dans l'exemple, si l'accord de branche a été conclu en 2001, et l'accord d'entreprise, en 2017, le salarié touchera une prime de vacances de 200 €.

Exception à l'exception - la supplétivité de certaines dispositions de la branche

Depuis 2008, et encore plus depuis 2016, certaines dispositions de branche ne s'appliquent qu'à défaut d'accord d'entreprise. Qu'importe alors que l'accord de branche ait été signé avant 2004 (Cass. soc., 1er mars 2017, n°16-10.047) ou que celui-ci comporte des dispositions impératives, il ne s'appliquera pas s'il existe un accord d'entreprise portant sur le même objet. Il s'agit aujourd'hui de la quasi-totalité des dispositions ouvertes à la négociation en matière de temps de travail.


Parler du renversement de la hiérarchie des normes c'est parler de la disparition du principe de faveur tel qu'il perdure aujourd'hui à travers des exceptions, notamment en rendant les dispositions d'un accord de branche supplétives à celles d'un accord d'entreprise.

A. Drajel


Edit du 04/12/2017 : le caractère supplétif de l'accord de branche a été généralisé par l'ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective (article L. 2253-3 du Code du travail). Seuls certains domaines se voient encore appliquer le principe de faveur :
1° Les salaires minima hiérarchiques ;
2° Les classifications ;
3° La mutualisation des fonds de financement du paritarisme ;
4° La mutualisation des fonds de la formation professionnelle ;
5° Les garanties collectives complémentaires mentionnées à l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale ;
6° Les mesures énoncées à l'article L. 3121-14, au 1° de l'article L. 3121-44, à l'article L. 3122-16, au premier alinéa de l'article L. 3123-19 et aux articles L. 3123-21 et L. 3123-22 du présent code et relatives à la durée du travail, à la répartition et à l'aménagement des horaires ;
7° Les mesures relatives aux contrats de travail à durée déterminée et aux contrats de travail temporaire énoncées aux articles L. 1242-8, L. 1242-13, L. 1244-3, L. 1251-12, L. 1251-35 et L. 1251-36 du présent code ;
8° Les mesures relatives au contrat à durée indéterminée de chantier énoncées aux articles L. 1223-8 du présent code ;
9° L'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
10° Les conditions et les durées de renouvellement de la période d'essai mentionnées à l'article L. 1221-21 du code du travail ;
11° Les modalités selon lesquelles la poursuite des contrats de travail est organisée entre deux entreprises lorsque les conditions d'application de l'article L. 1224-1 ne sont pas réunies ;
12° Les cas de mise à disposition d'un salarié temporaire auprès d'une entreprise utilisatrice mentionnés aux 1° et 2° de l'article L. 1251-7 du présent code ;
13° La rémunération minimale du salarié porté, ainsi que le montant de l'indemnité d'apport d'affaire, mentionnée aux articles L. 1254-2 et L. 1254-9 du présent code. (article L. 2253-1 du Code du travail).

De façon optionnelle, la branche peut aussi rendre impératives les mesures portant sur :
1° La prévention des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels énumérés à l'article L. 4161-1 ;
2° L'insertion professionnelle et le maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés ;
3° L'effectif à partir duquel les délégués syndicaux peuvent être désignés, leur nombre et la valorisation de leurs parcours syndical ;
4° Les primes pour travaux dangereux ou insalubres. (article L. 2253-2 du Code du travail)

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