mardi 25 juillet 2017

Tract La France Insoumise "loi Travail numéro 2" - Vrai/Faux



Dans le cadre de l'élaboration de la loi d'habilitation permettant au gouvernement de légiférer par ordonnance sur le droit du travail, La France Insoumise distribue des tracts (consultables en cliquant ici). Il peut être intéressant d'examiner chacun des griefs soulevés par la France Insoumise afin d'être en mesure de se forger sa propre opinion sur la question. Le présent article reprend l'ensemble des écrits précédant dans une étude globale.

Cette étude n'a pas vocation a traité de façon exhaustive des réformes envisagées par le Gouvernement dans le cadre de ses ordonnances mais simplement à faire la lueur sur le communiqué de La France Insoumise.

En cas de besoin, le projet de loi d'habilitation peut être consulté en cliquant ici et son étude d'impact en cliquant là. Au moment où ces lignes sont écrites, le projet de loi a été adopté en première lecture à l'Assemblée Nationale et doit être débattu au sénat.

Edit du 08/08/2017 : Le projet de loi a été adopté définitivement par l'Assemblée nationale et le Sénat. Le présent article a été mis à jour en conséquence.


Idée n°1 -
 Créer un droit du travail différent dans chaque entreprise : les salaires, les conditions de travail ou les protections en cas de licenciement seront négociés dans l’entreprise et pourront être moins favorables que la loi !




Créer un droit différent dans chaque entreprise



En l'état actuel de la législation, il est aujourd'hui possible, sauf exception, de prévoir un droit du travail différent dans chaque entreprise appartenant à la même branche d'activité (voir l'article La hiérarchie des normes en droit du travail, le principe de faveur, kesako ?).

A la lecture de l'article 1er du projet de loi d'habilitation, le Gouvernement sera chargé de définir les domaines limitativement énumérés dans lesquels la convention ou l’accord d’entreprise, ou le cas échéant d’établissement, ne peut comporter des stipulations différentes de celles des conventions de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels. Ces domaines sont aujourd'hui au nombre de six et sont listés à l'article L. 2253-3 du Code du travail, notamment les classifications et les salaires minimums.

Le texte que le Gouvernement sera chargé de rédiger doit également définir les domaines limitativement énumérés et conditions dans lesquels les conventions de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels peuvent stipuler expressément s’opposer à toute adaptation par convention ou accord d’entreprise, ou le cas échéant d’établissement. Cette possibilité laissée à la convention ou l'accord de niveau supérieur existe déjà dans le Code du travail. Cependant, aujourd'hui, les domaines pour lesquels ces conventions et accords peuvent comporter des stipulations impératives ne sont pas limités.

Pour le reste, les dispositions légales devront reconnaître la primauté de la négociation d’entreprise, ou le cas échéant d’établissement, ce qui permettra à chaque entreprise, dans le cadre d'un accord collectif, de prévoir des dispositions différentes d'une autre entreprise.

Aujourd'hui, une distinction est faite. Un accord d'entreprise peut déroger à un accord de branche si l'accord de branche n'a pas rendu ses dispositions impératives. En revanche, pour certains domaines prévus par la loi - la quasi-totalité des accords portant sur le temps de travail - l'accord de branche est supplétif. Ce qui signifie que l'accord d'entreprise peut déroger à l'accord de branche même si ce dernier a prévu des dispositions impératives (voir l'article La hiérarchie des normes en droit du travail, le principe de faveur, kesako ?).

Les ordonnances vont modifier cette articulation. La supplétivité de l'accord de branche, plutôt que d'être une exception, va devenir la règle, sauf pour les domaines qui seront limitativement énumérés et pour lesquels l'accord de branche aura la possibilité d'identifier des dispositions comme étant impératives.

S'agissant d'une loi d'habilitation et non d'une ordonnance, le projet de loi ne comprend pas des dispositions plus précises sur ce point. Rien ne permet de savoir si les salaires, les conditions de travail ou les protections en cas de licenciement appartiendront :

- soit aux domaines pour lesquels la primauté de l'accord d'entreprise sera reconnue ;
- soit aux domaines pour lesquels les conventions de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels peuvent prévoir des dispositions impératives ;
- soit aux domaines dans lesquels la convention ou l’accord d’entreprise ne peut, même en l'absence de précision de la branche, comporter des stipulations différentes à l'issue de la procédure.

Mais rien ne permet non plus de savoir que tel ne sera pas le cas. Seul l'avenir permettra de répondre à cette question.


Créer un droit moins favorable que la loi


L'article 1er du projet de loi d'habilitation précise que les conventions et accords d'entreprise devront respecter les dispositions d'ordre public. Comprenez les dispositions identifiées comme étant d'ordre public par le Code du travail en opposition à celles qui ne s'appliquent qu'en l'absence d'accord collectif.

La loi Travail (article 8, loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels) a déjà identifié les dispositions qui relevaient de l'ordre de public ainsi que celles applicables en l'absence d'accord. Prenons pour exemple les heures supplémentaires :
- ordre public : le taux de majoration des heures supplémentaires ne peut être inférieur à 10% (article L. 3121-33 du Code du travail).
- dispositions à défaut d'accord : les 8 premières heures supplémentaires sont majorées de 25 % et les suivantes sont majorées de 50% (article L. 3121-36 du Code du travail).

N.B. : Tel était déjà le cas avant la loi Travail (ancien article L. 3121-2 du Code du travail).

Dès lors, une convention ou un accord collectif peut prévoir que le taux de majoration des heures supplémentaires sera de 15%. Une telle mesure est supérieure au minimum fixé par l'ordre public mais inférieure aux dispositions supplétives.

Est-ce à dire que cet accord est moins favorable que la loi ? Oui si on se place du point de vue des dispositions supplétives. Non si on se place du point de vue de l'ordre public. Tout dépendra donc de ce qui sera identifié dans les ordonnances comme étant des dispositions applicables à défaut d'accord.



Idée n°2 - Supprimer les aides aux personnes licenciées : aujourd’hui, un plan de sauvegarde de l’emploi (reclassement, formations, primes de départ) est obligatoire après le licenciement de 10 personnes. Ce seuil va être relevé : des milliers de salariés licenciés seront sans aide.



A la lecture de l'article 3 du projet de loi, le Gouvernement est chargé de modifier les dispositions relatives au licenciement pour motif économique, notamment en adaptant les modalités de licenciements collectifs à la taille de l’entreprise et au nombre de ces licenciements. À ce titre, il est possible que le Gouvernement relève le seuil d'effectif à partir duquel l'entreprise a l'obligation d'élaborer un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE). Le projet d'habilitation ne le précise pas.

Est-ce à dire qu'en l'absence de PSE, les salariés seraient sans aide, ce qui reviendrait donc à supprimer les aides aux personnes licenciées ? Cette idée avancée par La France insoumise est fausse.

Toute entreprise dont l'effectif est d'au moins 50 salariés, et qui envisage le licenciement pour motif économique d'au moins 10 personnes dans une même période de 30 jours, a l'obligation d'élaborer un PSE (article L. 1233-61 du Code du travail). Conformément à l'article L. 1233-62 du Code du travail, le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit des mesures telles que :
- Des actions en vue du reclassement interne des salariés ;
- Des actions favorisant la reprise de tout ou partie des activités en vue d'éviter une fermeture ;
- Des créations d'activités nouvelles par l'entreprise ;
- Des actions favorisant le reclassement externe à l'entreprise ;
- Des actions de soutien à la création ou à la reprise d'activités par les salariés ;
- Des actions de formation, de validation des acquis de l'expérience ou de reconversion de nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés ;
- Des mesures de réduction ou d'aménagement du temps de travail notamment de réduction des heures supplémentaires.

En outre, et bien qu'il ne s'agisse pas d'une obligation, dans la pratique, les entreprises attribuent également à leurs salariés une indemnité de licenciement souvent plus favorable que l'indemnité légale.

Mais le PSE n'est qu'une obligation supplémentaire qui s'ajoute à toutes celles qui s'imposent à l'employeur qui licencie pour motif économique indépendamment de la taille de l'entreprise et du nombre de poste supprimé.

En effet, tout licenciement pour motif économique ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles (L. 1233-4 du Code dutravail).

En outre, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte une année d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement (article L. 1234-9 du Code du travail).

Enfin, le licenciement pour motif économique s'accompagne de la proposition d'un contrat de sécurisation professionnel pour les salariés des entreprises de moins de 1000 salariés (article L. 1233-66 du Code du travail) ou d'un congé de reclassement pour les entreprises de 1000 salariés et plus (article L. 1233-71 du Code du travail). Ces dispositifs viennent compléter les aides dont le salarié bénéficie avant et au moment du licenciement.

Si un salarié ne bénéficie pas d'un PSE, il ne sera pas pour autant privé d'aide en matière de formation de reclassement ou d'indemnité. Il sera en revanche privé des aides plus complètes et renforcées qu'offre le PSE.


Idée n°3 - Donner plus de pouvoir aux employeurs, en leur permettant de convoquer des référendums d’entreprise pour déroger au droit.



Permettre aux employeurs de convoquer des référendums d'entreprise


L’article 1er du projet de loi d’habilitation confie le soin aux ordonnances de faciliter le recours à la consultation des salariés pour valider un accord.

Il s'agit d'une simple facilitation car il existe déjà des dispositions permettant aux entreprises de recourir au référendum.

D’une part, l’employeur peut procéder à la consultation des salariés dans le cadre des dispositions générales relatives à la conclusion des accords collectifs d’entreprises conclus avec les délégués syndicaux. En effet, l’accord doit être signé par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives aux dernières élections du comité d’entreprise. C’est la règle dite de “l’accord majoritaire”. Si l’accord ne réunit pas 50% de ces suffrages mais au moins 30%, l’une des organisations syndicales signataires de l’accord peut proposer d’organiser un référendum pour valider l’accord (article L. 2232-12 du Code du travail).

Il convient de relever, dans ce cadre, que l'initiative d'organiser un référendum doit provenir exclusivement des délégués syndicaux. Les ordonnances pourraient modifier ce point en vue de faciliter, pour les employeurs, le recours à la consultation des salariés pour valider un accord.

Remarques : Ces dispositions sont issues de la loi Travail et entrent progressivement en vigueur depuis le 10 août 2016 (article 21, loi n°2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels).

Edit du 08/08/2017 : Le projet de loi adopté définitivement par l'Assemblée nationale et le Sénat prévoit expressément que les ordonnances pourront permettre aux entreprises d'organiser des référendum à l'initiative de l'employeur.

D’autre part, il existe des dispositions éparses qui permettent à l’employeur de consulter ses salariés notamment pour mettre en place un avantage comme un accord d’intéressement (article L. 3312-5 du Code du travail) ou un accord de participation (articles L. 3322-6 et L. 3322-7 du Code du travail) ou encore pour mettre en œuvre des dérogations telles que celles relatives au travail dominical (article L. 3132-25-3, I., du Code du travail).

En conséquence, le projet de loi d’habilitation ne permet pas, en l’état, aux ordonnance de créer la possibilité pour l’employeur d’avoir recours à des référendums. Ledit projet envisage simplement de faciliter ce recours.


Permettre aux référendums de déroger au droit


Le projet de loi d’habilitation ne fait pas mention expressément de la possibilité de déroger au droit en procédant par référendum. Pour autant, le tract de la France Insoumise est en partie vrai sur ce point.

En effet, un accord collectif ne peut déroger aux dispositions légales qui revêtent un caractère d’ordre public (article L. 2251-1 du Code du travail). Par voie de conséquence, un accord collectif peut prévoir des dispositions moins favorables que les dispositions du Code du travail qui ne revêtent pas un caractère d’ordre public.

Comme expliqué ci-dessus, de tels accords peuvent être conclus en ayant recours à un référendum.

Il est donc possible de déroger aux dispositions qui n’ont pas un caractère d’ordre public par référendum. Reste à savoir ce qui sera ou non d’ordre public à l’issu du processus de réforme actuellement engagé.

En tout état de cause, il convient de préciser que s’agissant de référendums, les ordonnances ne donneraient pas exclusivement à l’employeur le pouvoir de déroger au droit, mais un pouvoir exercé conjointement par l’employeur et les salariés, sous réserve bien entendu des pressions et abus qui pourraient être exercés.


Idée n°4 - Casser le CDI avec la création du CDD de chantier que l'employeur peut rompre à tout moment sans verser d'indemnité. En plus, le travail de nuit facilité et le renouvellement illimité du CDD sont envisagés.



La création du CDD de chantier


A la lecture de l'article 3 du projet de loi, les ordonnances pourront favoriser et sécuriser, par accord de branche, le recours aux contrats à durée indéterminée (CDI) conclus pour la durée d’un chantier ou d’une opération.

Il est ainsi fait référence au CDI de chantier. En revanche, le projet de loi ne fait pas mention de la création d'un CDD de chantier. Une nuance doit être apportée cependant, car si le contrat de chantier est un CDI, le poste pourvu par ce contrat de travail a une nature temporaire tout comme le poste pourvu par un CDD. En effet, le salarié est embauché pour la durée d'un chantier ou d'une mission.

Dans tous les cas le CDI de chantier n'est pas nouveau, puisque des dispositions existent déjà concernant ce contrat dans le Code du travail (article L. 1236-8 du Code du travail). Encore faut-il que le recours au CDI de chantier soit d'usage dans le secteur d'activité de l'entreprise ce qui limite aujourd'hui le recours au CDI de chantier principalement aux secteurs du bâtiment, de l'architecture et des bureaux d'études.

Les ordonnances pourront permettre aux accords de branche d'encadrer le recours au CDI de chantier. Cela permettra d'étendre la pratique du contrat de chantier à tous les secteurs d'activité sous réserve que les organisations syndicales patronales et de salariés dans chaque branche d'activité concluent un accord sur ce point.

Edit du 08/08/2017 : Le projet de loi adopté définitivement par l'Assemblée nationale et le Sénat prévoit que l'ordonnance devra définir les règles qui s'imposeront aux accords de branche qui permettront le recours au CDI de chantier.


Un contrat que l'employeur peut rompre à tout moment



Le contrat de chantier, à la différence du CDD, est un CDI. Il ne prend donc pas fin automatiquement lorsque l'objet du contrat arrive à terme. L'employeur qui veut mettre fin au CDI de chantier doit mettre en œuvre la procédure de licenciement.

Ce licenciement, comme habituellement, doit être motivé par une cause réelle et sérieuse (article L. 1232-1 du Code du travail) ; la spécificité du CDI de chantier étant que la fin du chantier ou de la mission pour laquelle le contrat a été conclu est une cause réelle et sérieuse de licenciement (article L. 1236-8 du Code du travail).

Il est opportun de préciser qu'en présence d'un CDD, l'employeur ne peut rompre le contrat de façon anticipée que pour des motifs restreints à la faute grave, la force majeur, ou l'inaptitude du salarié constatée par le médecin du travail (article L. 1243-1 du Code du travail). A l'inverse, pour mettre fin à un CDI de chantier en cas de problèmes d'ordre disciplinaire, l'employeur n'aura pas besoin de justifier nécessairement d'une faute grave.

Aussi, l'employeur ne peut pas mettre fin à tout moment au CDI de chantier, même si les possibilités de rompre un tel contrat sont plus nombreuses que pour un CDD. 


Une rupture de contrat qui ne donne droit à aucune indemnité



Lorsque que le CDD prend fin, le salarié a droit à une indemnité de fin de contrat égale à 10% de la rémunération brute qui lui a été versée (article L. 1243-8 du Code du travail).

Le salarié en CDI licencié, sous réserve qu'il compte une année d'ancienneté, a droit à une indemnité de licenciement (article L. 1234-9 du Code du travail), égale à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d'ancienneté (R. 3134-2 du Code du travail). Cette indemnité est inférieure à celle versée à un salarié au terme de son CDD.

Exemple : 
Un salarié a travaillé un an dans l'entreprise. Il a touché 2000 € par mois pendant 12 mois soit un total de 24000 €. Si le contrat prend fin au terme d'un CDD, le salarié aura droit à une indemnité de fin de contrat de 2400 € (10% de 24000 €). Si le contrat prend fin à la suite d'un licenciement, le salarié aura droit à une indemnité de licenciement de 400 € (1/5 de 2000 €).

Pour résumer, si le salarié en CDI de chantier est licencié alors qu'il n'a pas un an d'ancienneté, il n'aura pas d'indemnité. S'il a plus d'un an d'ancienneté, il aura une indemnité très inférieure à celle qu'il aurait perçue s'il avait été en CDD.

Faciliter le travail de nuit



L'article 3 du projet de loi d'habilitation, en l'état, permet aux ordonnances de sécuriser le recours au travail de nuit, lorsque celui-ci relève d’une organisation collective du travail, en permettant une adaptation limitée de la période de travail de nuit de nature à garantir un travail effectif jusqu’au commencement et dès la fin de cette période.

Cette partie du projet de loi nécessite des explications. L'étude d'impact du projet de loi d'habilitation constate en pratique "que certains commerces ne souhaitant pas mettre en place du travail de nuit, sont néanmoins conduits à déborder à la marge sur la plage horaire applicable en l’absence d’accord (21h00-06h00), soit, par exemple, le temps de fermer et d’évacuer les salariés après la fermeture du magasin à 21h00, soit de les faire arriver et se mettre en place juste avant le démarrage de la journée de travail à 06h00". Cette pratique, qui n'est actuellement pas conforme aux dispositions relatives au travail de nuit, pourrait être légalisée par les ordonnances. Cela faciliterait donc l'emploi de salariés au cours de la plage horaire qui correspond normalement au travail de nuit.

Les ordonnances seront également chargées de renforcer le champ de la négociation collective dans la définition du caractère exceptionnel du travail de nuit.

Ce caractère exceptionnel est aujourd'hui définit par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale (article L. 3122-1 du Code du travail). Le travail de nuit doit être mis en place par accord collectif ou à défaut par autorisation de l'inspection du travail (article L. 3122-21 du Code du travail). En cas d'accord, celui-ci doit prévoir les justifications de recours au travail de nuit, lesquelles doivent dès lors être conformes avec la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale (article L. 3122-15 du Code du travail).

En outre, la Cour de cassation délimite le recours au travail de nuit de façon restrictive. Selon les juges, le travail de nuit ne peut pas être le mode d'organisation normal du travail au sein d'une entreprise et ne doit être mis en œuvre que lorsqu'il est indispensable à son fonctionnement (Cass. soc. 24 septembre 2014, n°13-24.851).Le projet de loi d'habilitation permettra donc aux ordonnances de donner plus de liberté aux accords de branche ou d'entreprise. Ces derniers pourront apporter une définition du caractère exceptionnel du travail de nuit plus souple que celle qui résulte aujourd'hui du Code du travail et de la jurisprudence. Si de tels accords sont conclus, le recours au travail de nuit s'en trouvera soit facilité, soit rendu plus difficile selon la définition du caractère exceptionnel retenue dans l'accord par les partenaires sociaux. Dans tous les cas, le recours par les entreprises au travail de nuit dans le respect des dispositions de la branche s'en trouvera sécurisé. 


Renouveler le CDD de façon illimitée


Selon l'article 3, 3° du projet de loi, les ordonnances pourront prévoir "la faculté d’adapter par convention ou accord collectif de branche, dans les limites d’un cadre fixé par la loi, les dispositions, en matière de contrat à durée déterminée et de contrat de travail temporaire, relatives aux motifs de recours à ces contrats, à leur durée, à leur renouvellement et à leur succession sur un même poste ou avec le même salarié".

Depuis la loi dite Rebsamen, le nombre de renouvellement d'un CDD est aujourd'hui limité à 2 par le Code du travail (article L. 1243-13 du Code du travail ; article 55, loi du 17 août 2015 n°2015-994 relative au dialogue social et à l'emploi).

Après adoption des ordonnances, les partenaires sociaux des branches auront la possibilité de définir eux-mêmes le nombre de renouvellement dont pourra faire l'objet un CDD, sous réserve des limites non connues à ce jour qui seront fixées par les ordonnances.

Si les ordonnances ne définissent pas de limite quant au nombre de renouvellement, les syndicats de salariés et d'employeur pourront tout aussi bien ne pas limiter le nombre de renouvellement que l'encadrer strictement. Encore une fois, cette responsabilité relèvera des syndicats de salariés et d'employeurs au niveau de chaque branche d'activité.



Idée n°5 - Désarmer les salariés, avec la fusion du comité d’entreprise, du comité hygiène sécurité et conditions de travail et des délégués du personnel en une instance, avec moins de droits et discutant par internet avec l’employeur.


La fusion des délégués du personnel (DP), du comité d'entreprise (CE) et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)


Il est possible aujourd'hui pour les entreprises de moins de 300 salariés de regrouper ces trois instances sous la forme d'une délégation unique du personnel (article L.2326-1 du Code du travail). Cette possibilité relève d'une décision de l'employeur.

Remarques : ce n'est que depuis très récemment que le CHSCT a été intégré à la délégation unique du personnel (article 13, loi n°2015-994 du 17 août 2015 relative audialogue social et à l'emploi). C'est à cette occasion que le seuil de 200 salariés a été relevé à 300.

Dans les entreprises de 300 salariés et plus, la fusion de ces institutions reste possible mais elle est subordonnée à un accord (article L. 2391-1 du Code du travail).

La réunion des instances représentatives du personnel dans une délégation unique est aujourd'hui une exception. Le projet de loi d'habilitation autorise le Gouvernement à en faire un principe.

Une instance avec moins de droits


Dans le cadre des ordonnances, le Gouvernement sera chargé de définir les conditions de mise en place, les seuils d’effectifs à prendre en compte, la composition, les attributions et le fonctionnement de cette instance, y compris les délais d’information-consultation, les moyens, le nombre maximal de mandats électifs successifs des membres de l’instance ainsi que les conditions et modalités de recours aux expertises.

Compte tenu de l'avancée de la réforme, il n'est pas possible de déterminer, à ce stade, si les conditions de mise en place et de fonctionnement de cette nouvelle instance unique de représentation du personnel seront moins favorables aux salariés qu'à l'heure actuelle pour ce qui est de la délégation unique du personnel des entreprises de moins de 300 salariés. Dans les entreprises de 300 salariés et plus, ces modalités sont aujourd'hui définies par accord (article L. 2392-1 et L. 2393-1 du Code du travail). Seule une évaluation au cas par cas, accord par accord, permettra de savoir si les nouvelles dispositions du Code du travail concernant la mise en place et le fonctionnement de l'institution représentative du personnel seront plus ou moins favorables que le contenu des accords d'entreprise conclus dans ce domaine.

Il convient donc d'attendre que le contenu des ordonnances soit dévoilé pour répondre avec précisions à toutes ces interrogations. Le but poursuivi par le Gouvernement étant de simplifier le fonctionnement de cette nouvelle instance unique, une telle simplification pourrait passer par une réduction des obligations de l'employeur, et réciproquement, par une réduction des droits des salariés.

Pour autant, il convient de préciser que l'étude d'impact du projet de loi d'habilitation envisage d'attribuer plus de moyens et donc plus de droits aux élus du personnel. Il est notamment fait référence à la possibilité d'élargir les situations dans lesquelles l'employeur devra requérir l'avis conforme des représentants du personnel. Sans accord des représentants du personnel à l'issue de leur consultation, l'employeur ne pourra pas mettre en oeuvre la mesure envisagée. Il est également prévu d'améliorer leur accès à la formation.

Surtout, le projet de loi permet aux ordonnances de limiter le nombre de mandats successifs que pourrait exercer un élu. Une telle disposition introduite dans le Code du travail pourrait conduire à ce que, dans une entreprise, il y ait carence ou insuffisance de candidats aux élections alors même que des salariés seraient volontaires pour exercer des mandats. Elle vient réduire la portée de l'alinéa 8 du préambule de la constitution du 26 octobre 1946 : "Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises." Ce principe a valeur constitutionnel car repris en 1958 dans le préambule de notre actuelle Constitution. Toute loi doit s'y conformer, il est donc envisageable que le Conseil constitutionnel soit saisi en vue d'examiner la constitutionnalité de cette mesure.

Edit du 08/08/2017 : Le projet de loi adopté définitivement par l'Assemblée nationale et le Sénat prévoit expressément que les ordonnances pourront permettre aux entreprises de fixer à trois, sauf exceptions, le nombre de mandats électifs successifs des membres de la future instance unique.

Une instance discutant par internet avec l'employeur


Le projet de loi est très général et ne fait référence qu'à la définition des modalités de fonctionnement de cette nouvelle instance unique sans autre précision. N'est pas visée par le projet de loi la faculté de communiquer par internet avec les représentants du personnel dans le cadre de la tenue des réunions ou même des échanges réguliers qu'ils pourraient avoir. Cela n'empêchera pas les ordonnances de prévoir des dispositions sur ce point.

Reste à savoir si permettre à l'employeur et aux représentants du personnel d'échanger par internet aurait pour impact de désarmer les salariés. Cette analyse est subjective et dépend des considérations de chacun. Dans les entreprises composées d'établissements multiples, excentrés du siège, cela aurait pour avantage de réduire les déplacements et les temps de trajet correspondants des élus dans le cadre de leur participation à des instances centralisées. Cela facilitera aussi la disponibilité de chacun des acteurs. Mais de façon inverse, le recours à internet pour échanger pourrait contribuer les élus du personnel à demeurer éloignés, isolés et réduire la portée des messages qu'ils souhaitent communiquer. Il n'est pas contestable que les messages délivrés en face à face ont parfois plus de poids.

Idée n°6 - Établir des barèmes aux prud’hommes : les employeurs hors-la-loi mettront de côté la somme nécessaire pour licencier illégalement syndicalistes, femmes enceintes, salariés âgés



Établir des barèmes aux prud’hommes


L’article 3 du projet de loi d’habilitation charge les ordonnances de fixer un référentiel d’indemnité qui s’imposera aux conseils de prud’hommes, établi notamment en fonction de l’ancienneté du salarié, pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Pour reprendre l’étude d’impact du projet de loi d’habilitation, cette disposition a été introduite en partant du constat que “pour des salariés occupant un poste équivalent, à ancienneté égale, le montant des dommages et intérêts peut varier du simple au triple, voire atteindre des écarts encore plus élevés dans les cas extrêmes. Ces écarts ne s’expliquent pas par les seules différences de salaire et d’ancienneté des salariés dans l’entreprise. Ils traduisent notamment des traitements différenciés par les juges dans des situations comparables”.

Il est donc bel et bien prévu d’établir des barèmes aux prud’hommes pour la détermination des indemnités à verser en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Plus précisément, l’étude d’impact précise que le référentiel sera composé d'un plafond, d'un plancher et d'une échelle obligatoire des dommages et intérêts versées en cas de licenciement abusif. L’existence d’un tel barème permettra aux employeurs de mieux appréhender le coût d’un licenciement qui ne serait pas sécurisé et donc incontestablement de provisionner comptablement le risque financier qu’une telle situation représenterait pour l’entreprise. Cette pratique existe d’ailleurs déjà dans les grandes entreprises bien que la somme provisionnée soit soumise à un fort aléa.

Certains praticiens du droit du travail s’interrogent toutefois sur l’efficacité de ce barème pour réduire les écarts de montant des dommages-intérêts actuellement constatés d’un litige à un autre. En effet, aucune situation n’est identique, et les conseillers prud’homaux, jugeant l’indemnité prévue par le barème comme insuffisante, pourraient rechercher l’existence de préjudices supplémentaires, tel qu’un préjudice moral, pour compléter l’indemnisation du salarié licencié abusivement. De tels barèmes seraient alors sans effet ou auraient un effet bien moindre que celui escompté.

Pour information : Aujourd’hui seuls des planchers sont prévues par le Code du travail pour l'indemnisation des salariés licenciés sans cause réelle ni sérieuse. Le montant des dommages et intérêts est au minimum égal à six mois de salaire, pour tout salarié ayant au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise d’au moins 11 salariés (articles L. 1235-3 et L.1235-5 du Code du travail). En revanche, pour les salariés des entreprises de moins de 11 salariés, et pour les salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté, il n’existe aucun encadrement ou montant minimal. Le juge fixe le montant des dommages et intérêts librement en fonction du préjudice subi (article L.1235-5 du Code du travail).

Des barèmes applicables aux syndicalistes, femmes enceintes, salariés âgés


Le projet de loi précise expressément que le barème ne sera pas applicable aux licenciements entachés par des actes de harcèlement ou de discrimination. Un salarié licencié pour un motif discriminatoire tel que son âge, son sexe, sa religion, son état de santé ou de grossesse, ou encore son appartenance à une organisation syndicale ne se verra pas appliquer le barème d’indemnité.

Remarques : la preuve de l’existence d’une discrimination est facilitée par le Code du travail. Le salarié se contente de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, l’employeur doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (article L. 1134-1 du Code du travail).

Il convient de noter que le barème s'appliquerait, en l'état du projet de loi, aux seuls licenciements sans cause réelle ni sérieuse. Ce barème ne s'appliquerait donc pas aux licenciements nuls du fait, notamment, d'un licenciement fondé sur une discrimination (articles L. 1132-1 à L. 1132-4 du Code du travail), du licenciement d'un salarié protégé (articles L. 2422-1 et suivants du Code du travail), d'une salariée enceinte ou en congé maternité (articles L. 1225-4 à L. 1225-5 du Code du travail), d'un salarié en arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle (article L. 1226-9 du Code du travail ; Cass. soc., 8 octobre 1991, n°89-45.031), de certains lanceurs d'alerte (articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du Code du travail), etc.

Edit du 08/08/2017 : Le projet de loi adopté définitivement par l'Assemblée nationale et le Sénat prévoit que le barème qui pourra être fixé par ordonnance ne sera pas applicable aux licenciements entachés par une faute de l'employeur d'une exceptionnelle gravité. Les licenciements fondés sur un harcèlement ou une discrimination seraient donc exclus mais ils ne seraient pas les seuls.

La mention des tracts de la France Insoumise selon laquelle les employeurs pourront économiser pour licencier syndicalistes, femmes enceintes ou salariés âgés est donc fausse.

A. Drajel

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