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En pleine
élaboration d'ordonnances relatives à la rénovation sociale, et le jour du
départ en vacances d'un grand nombre de français, Christophe Barbier,
éditorialiste au journal L'Express, jugeait nécessaire, le 28 juillet dernier,
que les Français renoncent à leur cinquième semaine de congés payés. Qu'il
s'agisse des convictions du journaliste ou d'un trait d'humour mal compris,
cette intervention m'a donné envie de revenir sur les origines de cette cinquième semaine de congés payés. Il est intéressant de rappeler
à certains, et d'apprendre à d'autres quels furent les discours
tenus à l'époque par les différents responsables politiques.
Je me suis particulièrement penchée sur la procédure législative et les débats
parlementaires qui ont conduit à la modification du Code du travail.
Les recherches réalisées pour la rédaction de cet article montrent à quel point la politique d’aujourd’hui est le reflet
de celle d’hier. Quel que soit le parti au pouvoir, les mêmes enjeux sont soulevés, les mêmes arguments
sont repris et les responsables politiques adoptent les mêmes comportements
malgré les 35 années qui nous séparent de cette période de l’histoire.
Pour
rappeler le contexte, en 1936, à la suite de l'arrivée au pouvoir du Front
Populaire, tous les salariés se voient octroyer un congé annuel de deux
semaines (Loi du 26 juin 1936). La durée des congés est portée à 3 semaines en
1956 (Loi du 27 mars 1956). Puis, en réponse aux revendications de mai 1968, la
quatrième semaine de congés payés est généralisée (Loi du 17 mai 1969).
Le 10 mai
1981, François Mitterrand est élu Président de la République. Parmi ses promesses
de campagne se trouvent l’abaissement à 60 ans de l’âge légal de départ en
retraite, la réduction du temps de travail de 40 heures à 35 heures par semaine
(cette baisse se limitera finalement à 39 heures hebdomadaire), ainsi que
l'instauration d'une cinquième semaine de congés payés.
Les élections
législatives qui ont lieu en juin 1981 permettent au parti socialiste de
constituer une majorité forte à l’Assemblée nationale accompagnée d’une
importante représentation du parti communiste. En revanche, la droite, devenue premier parti d'opposition, reste majoritaire au
Sénat, les dernières élections sénatoriales datant de septembre 1980.
En fin d'année 1981, le Gouvernement décide de légiférer par
voie d’ordonnance en vue d’instaurer la cinquième semaine de congés payés, réduire la durée du travail ainsi
que pour mettre en œuvre une série d’autres mesures promises pendant la
campagne électorale.
Pour
information : En vertu de
l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement peut, pour l'exécution de son
programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances,
pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
Pour ce faire, le Parlement adopte une loi d’habilitation qui définit sur quels
sujets, dans quelles limites ainsi que dans quels délais le Gouvernement pourra
légiférer par ordonnance. Pour en savoir plus, les détails de la procédure sont
exposés sur le site du sénat en cliquant ici.
Tous les
moyens possibles vont être utilisés par l’opposition pour retarder
l’adoption du projet de loi d’orientation et d’habilitation qui permettra au
Gouvernement de légiférer par ordonnance. J’ai constaté à la lecture des
débats que 171 amendements avaient été déposés, dont une grande partie
consistant en la suppression de chacun des alinéas du projet de loi, visant à
modifier un mot sans que cette modification apporte une quelconque
conséquence, ou encore , retirant toute force contraignante pour les entreprises
aux mesures qui seraient adoptées.
Le contenu
du texte ne sera même pas débattu au Sénat majoritairement à droite en 1981
puisque cette assemblée opposera en première lecture ainsi qu’en seconde
lecture une question préalable.
Pour
information : La question
préalable a pour objet de faire décider soit que l’assemblée s'oppose à
l'ensemble du texte, soit qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération.
Son adoption entraîne le rejet du texte.
Les
parlementaires de la droite (UDF et RPR) vont également critiquer l’usage qui est fait de
l’article 38 de la Constitution. Lorsque la droite rappelle l’opposition exprimée
par la gauche à l’utilisation d’une telle procédure par le passé, la gauche se
défend de n’avoir condamné que les abus.
Lorsque le Gouvernement et la majorité invoque l’urgence de prendre des mesures pour remédier à la situation des deux millions de chômeurs, l’opposition répond que le débat aurait pu commencer six mois plus tôt selon une procédure normale.
Alors que la droite regrette que le Parlement soit dessaisi d’une prérogative qui relève de sa compétence, de la rédaction de textes dans lesquels les parlementaires auraient pu intégrer des garde-fous, la gauche oppose le caractère technique des dispositions à adopter.
Enfin, lorsque la majorité assure consulter les partenaires sociaux et leur attribuer toute la place qui doit être la leur dans le débat, l’opposition rétorque que la procédure des ordonnances permet au Gouvernement de faire se dérouler ces négociations dans le secret des cabinets ministériels plutôt que dans la lumière des débats publics du Parlement.
Lorsque le Gouvernement et la majorité invoque l’urgence de prendre des mesures pour remédier à la situation des deux millions de chômeurs, l’opposition répond que le débat aurait pu commencer six mois plus tôt selon une procédure normale.
Alors que la droite regrette que le Parlement soit dessaisi d’une prérogative qui relève de sa compétence, de la rédaction de textes dans lesquels les parlementaires auraient pu intégrer des garde-fous, la gauche oppose le caractère technique des dispositions à adopter.
Enfin, lorsque la majorité assure consulter les partenaires sociaux et leur attribuer toute la place qui doit être la leur dans le débat, l’opposition rétorque que la procédure des ordonnances permet au Gouvernement de faire se dérouler ces négociations dans le secret des cabinets ministériels plutôt que dans la lumière des débats publics du Parlement.
Sur le débat de fond, qu’il s’agisse de l’attribution de la cinquième semaine de
congés payés, de la réduction du temps de travail, ou d’autres mesures envisagées par le projet de loi d’habilitation, les
arguments avancés par les uns et les autres pourraient tout aussi bien être
recyclés aujourd’hui. Que ce soit dans les discussions générales ou dans l'étude des amendements, je n'ai pas retrouvé d'argument adressé précisément à l'encontre de la cinquième semaine de congés payés mais plus généralement à la réduction du temps de travail et à l'augmentation des charges que cela engendrait pour les entreprises.
Pour
reprendre le discours du Premier ministre, Pierre Mauroy, à l’Assemblée
National le 8 décembre 1981, “la réduction de la durée du travail (…) est l’une
des plus vieilles et des plus fortes revendications des travailleurs. Elle
constitue la trame des luttes ouvrières depuis le début de l’ère industrielle,
des luttes les plus vastes, les plus belles et les plus sanglantes aussi,
hélas. C’est pour la journée de huit heures que se sont mobilisés les
travailleurs d’Europe et des Etats-Unis. C’est pour la journée de huit heures
que sont tombés les martyrs de Fournies. C’est à travers les quarante heures
hebdomadaires, les quinze jours de congés payés que s’est effectuée l’embellie
du Front Populaire. Seuls ceux qui ignorent la réalité des conditions de vie et
de travail dans notre pays peuvent refuser l’importante avancée sociale que
nous proposons de réaliser.” Ces mesures sont adoptées “pour répondre (...) au
désir d’un grand nombre de femmes et d’hommes qui souhaitent introduire plus de
souplesse dans leur emploi du temps, engager un effort en faveur de tous ceux
qui effectuent des travaux pénibles ou répétitifs”.
Pour
Jean-Pierre Sueur, député PS du Loiret (aujourd’hui encore sénateur PS du
Loiret) “si l’on veut réduire le chômage, il n’est (...) pas d’autre solution
que de partager le travail et cela d’autant plus que les gains de productivité
accroissent ce que l’on peut appeler aujourd’hui, en comparaison avec ce que
nous avons connu hier, la rareté relative du travail disponible par rapport aux
demandeurs d’emploi, qu’ils soient réels ou potentiels. Dans un tel contexte,
le recours massif aux heures supplémentaires n’est plus acceptable. Pour
beaucoup, ces heures supplémentaires sont du superflu, au moment où deux
millions d’hommes et de femmes n’ont pas l’emploi qui leur est nécessaire”.
Michel
Debré, député RPR de La Réunion, ancien Premier ministre de Charles de Gaulle
avance au contraire que “le déficit profond et constamment aggravé des finances
publiques et sociales, le recours constant à de nouveaux impôts et à des
cotisations en augmentation alourdissent les frais généraux de la nation et
augmentent les charges des entreprises. Voilà qui contrarie l'essor de
production, voilà qui décourage les chefs d’entreprise, voilà qui aggrave les
perspectives de chômage par absence d’élan créateur et productif. Va dans le
même sens la diminution généralisée et aveugle de la quantité de travail, que
ce soit par la diminution généralisée de la semaine de travail, par
l’abaissement généralisé des limites d’âge, par l’allongement généralisé des
congés payés”.
Jean Falala,
député de droit estime pour sa part que "les mesures prises amputeront le
pouvoir d'achat des salariés et accableront encore un peu plus les entreprises
dont un bon nombre est déjà au bord de l’asphyxie. Le vrai problème dit-il, le
problème essentiel, l'enjeu véritable est en fait de savoir si la France est en
état de supporter à terme sans dommages irréversibles, les conséquences de ces
décisions.” Et de conclure par la phrase suivante : “il est bon que face à ceux
qui demain apparaîtront comme des marchands d'illusions, il y ait des porteurs
d'espoir.”
Après une
3ème lecture à l’assemblée nationale le projet de loi d’habilitation est
définitivement adopté le 23 décembre 1981 permettant ainsi au Gouvernement
d'instituer la cinquième semaine de congés payés par une ordonnance du 16
janvier 1982.
Il va sans
dire que les parlementaires de l’opposition auront, malgré tout, en dernier
recours, saisit le Conseil constitutionnel pour voir déclarer
inconstitutionnelles plusieurs mesures de la loi d'orientation et
d'habilitation. Ce texte sera cependant déclaré conforme par une décision du
Conseil constitutionnel du 5 janvier 1982.
Bien que ces
débats aient eu lieu il y a près de 35 ans, certains responsables politiques
qui ont pris part aux discussions et/ou aux votes sont encore en politique
aujourd'hui. C'est le cas du sénateur Jean Pierre Sueur cité plus haut. Mais on
retrouve également dans les compte rendus du Parlement des personnalités politiques
mieux connues aujourd'hui du grand public : Michel Sapin, PS, ministre sous la
Présidence de François Hollande (pour), Claude Bartelone, PS, Président de
l’Assemblée Nationale sous la dernière législature (pour), Jean-Yves Le Drian,
PS, actuel ministre de l’Europe et des Affaires Etrangère (pour), François
Fillon, candidat Les Républicains à la dernière Présidentielle (contre),
Jean-Claude Gaudin, Les Républicains, Vice-président du Sénat (contre).
Alors cette
cinquième semaine de congés payés, êtes-vous prêts à y renoncer ?
Je vous rassure une telle mesure n'est pas envisagée dans le cadre des ordonnances de cet été ...
A. Drajel
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