Dans le cadre de l'élaboration de la loi d'habilitation permettant au Gouvernement de légiférer par ordonnance sur le droit du travail, La France Insoumise distribue des tracts (consultables en cliquant ici). Il peut être intéressant d'examiner chacun des griefs soulevés par la France Insoumise afin d'être en mesure de se forger sa propre opinion sur la question. Pour ce faire, un article est consacré à chacune des idées avancées dans cette communication.
En cas de besoin, le projet de loi d'habilitation peut être consulté en cliquant ici et l'étude d'impact en cliquant là. Au moment où ces lignes sont écrites, le projet de loi a été adopté en première lecture à l'Assemblée Nationale et doit être débattu au sénat.
Edit du 08/08/2017 : Le projet de loi a été adopté définitivement par l'Assemblée nationale et le Sénat. Le présent article a été mis à jour en conséquence.
Idée n°4 :
Casser le CDI avec la création du CDD de chantier que l'employeur peut rompre à tout moment sans verser d'indemnité. En plus, le travail de nuit facilité et le renouvellement illimité du CDD sont envisagés
La création du CDD de chantier
A la lecture de l'article 3 du projet de loi, les ordonnances pourront favoriser et sécuriser, par accord de branche, le recours aux contrats à durée indéterminée (CDI) conclus pour la durée d’un chantier ou d’une opération.
Il est ainsi fait référence au CDI de chantier. En revanche, le projet de loi ne fait pas mention de la création d'un CDD de chantier. Une nuance doit être apportée cependant, car si le contrat de chantier est un CDI, le poste pourvu par ce contrat de travail a une nature temporaire tout comme le poste pourvu par un CDD. En effet, le salarié est embauché pour la durée d'un chantier ou d'une mission.
Dans tous les cas le CDI de chantier n'est pas nouveau, puisque des dispositions existent déjà concernant ce contrat dans le Code du travail (article L. 1236-8 du Code du travail). Encore faut-il que le recours au CDI de chantier soit d'usage dans le secteur d'activité de l'entreprise ce qui limite aujourd'hui le recours au CDI de chantier principalement aux secteurs du bâtiment, de l'architecture et des bureaux d'études.
Les ordonnances pourront permettre aux accords de branche d'encadrer le recours au CDI de chantier. Cela permettra d'étendre la pratique du contrat de chantier à tous les secteurs d'activité sous réserve que les organisations syndicales patronales et de salariés de chaque branche d'activité concluent un accord sur ce point.
Edit du 08/08/2017 : Le projet de loi adopté définitivement par l'Assemblée nationale et le Sénat prévoit que l'ordonnance devra définir les règles qui s'imposeront aux accords de branche qui permettront le recours au CDI de chantier.
Un contrat que l'employeur peut rompre à tout moment
Le contrat de chantier, à la différence du CDD, est un CDI. Il ne prend donc pas fin automatiquement lorsque l'objet du contrat arrive à terme. L'employeur qui veut mettre fin au CDI de chantier doit mettre en œuvre la procédure de licenciement.
Il est opportun de préciser qu'en présence d'un CDD, l'employeur ne peut rompre le contrat de façon anticipée que pour des motifs restreints à la faute grave, la force majeur, ou l'inaptitude du salarié constatée par le médecin du travail (article L. 1243-1 du Code du travail). A l'inverse, pour mettre fin à un CDI de chantier en cas de problèmes d'ordre disciplinaire, l'employeur n'aura pas besoin de justifier nécessairement d'une faute grave.
Aussi, l'employeur ne peut pas mettre fin à tout moment au CDI de chantier, même si les possibilités de rompre un tel contrat sont plus nombreuses que pour un CDD.
Une rupture de contrat qui ne donne droit à aucune indemnité
Lorsque que le CDD prend fin, le salarié a droit à une indemnité de fin de contrat égale à 10% de la rémunération brute qui lui a été versée (article L. 1243-8 du Code du travail).
Le salarié en CDI licencié, sous réserve qu'il compte une année d'ancienneté, a droit à une indemnité de licenciement (article L. 1234-9 du Code du travail), égale à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d'ancienneté (R. 3134-2 du Code du travail). Cette indemnité est inférieure à celle versée à un salarié au terme de son CDD.
Exemple :
Un salarié a travaillé un an dans l'entreprise. Il a touché 2000 € par mois pendant 12 mois soit un total de 24000 €. Si le contrat prend fin au terme d'un CDD, le salarié aura droit à une indemnité de fin de contrat de 2400 € (10% de 24000 €). Si le contrat prend fin à la suite d'un licenciement, le salarié aura droit à une indemnité de licenciement de 400 € (1/5 de 2000 €).
Pour résumer, si le salarié en CDI de chantier est licencié alors qu'il n'a pas un an d'ancienneté, il n'aura pas d'indemnité. S'il a plus d'un an d'ancienneté, il aura une indemnité très inférieure à celle qu'il aurait perçue s'il avait été en CDD.
Faciliter le travail de nuit
L'article 3 du projet de loi d'habilitation, en l'état, permet aux ordonnances de sécuriser le recours au travail de nuit, lorsque celui-ci relève d’une organisation collective du travail, en permettant une adaptation limitée de la période de travail de nuit de nature à garantir un travail effectif jusqu’au commencement et dès la fin de cette période.
Cette partie du projet de loi nécessite des explication. L'étude d'impact du projet de loi d'habilitation constate en pratique "que certains commerces ne souhaitant pas mettre en place du travail de nuit, sont néanmoins conduits à déborder à la marge sur la plage horaire applicable en l’absence d’accord (21h00-06h00), soit, par exemple, le temps de fermer et d’évacuer les salariés après la fermeture du magasin à 21h00, soit de les faire arriver et se mettre en place juste avant le démarrage de la journée de travail à 06h00". Cette pratique, qui n'est actuellement pas conforme aux dispositions relatives au travail de nuit, pourrait être légalisée par les ordonnances. Cela faciliterait donc l'emploi de salariés au cours de la plage horaire qui correspond normalement au travail de nuit.
Les ordonnances seront également chargées de renforcer le champ de la négociation collective dans la définition du caractère exceptionnel du travail de nuit.
Ce caractère exceptionnel est aujourd'hui définit par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale (article L. 3122-1 du Code du travail). Le travail de nuit doit être mis en place par accord collectif ou à défaut par autorisation de l'inspection du travail (article L. 3122-21 du Code du travail). En cas d'accord, celui-ci doit prévoir les justifications de recours au travail de nuit, lesquelles doivent dès lors être conformes avec la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale (article L. 3122-15 du Code du travail).
En outre, la Cour de cassation délimite le recours au travail de nuit de façon restrictive. Selon les juges, le travail de nuit ne peut pas être le mode d'organisation normal du travail au sein d'une entreprise et ne doit être mis en
Le projet de loi d'habilitation permettra donc aux ordonnances de donner plus de liberté aux accords de branche ou d'entreprise. Ces derniers pourront apporter une définition du caractère exceptionnel du travail de nuit plus souple que celle qui résulte aujourd'hui du Code du travail et de la jurisprudence. Si de tels accords sont conclus, le recours au travail de nuit s'en trouvera soit facilité, soit rendu plus difficile selon la définition du caractère exceptionnel retenue dans l'accord par les partenaires sociaux. Dans tous les cas, le recours par les entreprises au travail de nuit dans le respect des dispositions de la branche s'en trouvera sécurisé.
Renouveler le CDD de façon illimitée
Selon l'article 3, 3° du projet de loi, les ordonnances pourront prévoir "la faculté d’adapter par convention ou accord collectif de branche, dans les limites d’un cadre fixé par la loi, les dispositions, en matière de contrat à durée déterminée et de contrat de travail temporaire, relatives aux motifs de recours à ces contrats, à leur durée, à leur renouvellement et à leur succession sur un même poste ou avec le même salarié".
Après adoption des ordonnances, les partenaires sociaux des branches auront la possibilité de définir eux-mêmes le nombre de renouvellement dont pourra faire l'objet un CDD, sous réserve des limites non connues à ce jour qui seront fixées par les ordonnances.
Si les ordonnances ne définissent pas de limite quant au nombre de renouvellement, les syndicats de salariés et d'employeur pourront tout aussi bien ne pas limiter le nombre de renouvellement que l'encadrer strictement. Encore une fois, cette responsabilité relèvera des syndicats de salariés et d'employeurs au niveau de chaque branche d'activité.